Bernard Latuner, peintre engagé

Bernard Latuner, peintre engagé depuis 1968 et un certain mois de mai, expose ses nouvelles toiles à l’Espace André Malraux à Colmar. Ce combattant pessimiste comme il se qualifie lui-même défend aujourd’hui la cause animale et dénonce la destruction de notre planète.

Propos recueillis par Sandrine Bavard en mars 2017.

Bernard Latuner, peintre engagé Bernard Latuner, peintre engagé DR

Depuis sa sortie des Beaux-arts de Mulhouse, Bernard Latuner a toujours vécu de sa peinture, à une époque où les Trente Glorieuses semblaient aussi toucher le monde de l’art, même s’il aura attendu les années 80 pour exposer à la FIAC à Paris, à Art Basel ou dans des foires à New-York. : « Une carrière était beaucoup moins rapide parce qu’on estimait qu’il y avait un cheminement à faire avant d’exposer. Cependant, on avait peut-être plus de chances de le faire, sans être sur les réseaux sociaux, parce que le monde de l’art était plus ouvert », commente-t-il.

Après deux ans de service militaire chez les parachutistes, il retrouve « sa liberté de penser » en participant à Mai 68 : « J’ai pris ma 2CV et je suis monté à Paris pour participer aux barricades. Bon, quand les CRS chargeaient, je n’étais pas celui qui restait jusqu’au dernier moment, plaisante-t-il. À 25 ans, c’était un événement formidable, de voir des concierges prendre la parole à la Sorbonne par exemple. Comme beaucoup, j’étais un jeune con immature. Mai 68 m’a donné une conscience politique, a nourri ma réflexion et un certain sens de la liberté. J’ai fait ce constat : il faut être libre pour avancer et être heureux ! »
Le jeune peintre se fait plus engagé et rejoint un mouvement qui émerge dans les années 60, celui de la figuration narrative, porté par des artistes comme Monory, Rancillac, Télémaque, qui tacle les travers de la société contemporaine et qui réfère à des images populaires (pub, BD, cinéma…). Après avoir fait de l’abstrait, il retrouve alors le plaisir de peindre des images et de raconter des histoires : « J’ai fait tout un travail basé sur des photos de rue : je prenais une belle façade en photo et j’imaginais ce qui se passait derrière la fenêtre, j’inventais des vies aux personnes, dans une espèce de jeu », souligne-t-il. Ces séries l’accaparent pendant plusieurs années, parfois jusqu’à une décennie : « Je choisis un sujet en fonction de la marche du monde et de mes révoltes. Plus on vieillit, et plus on a la chance de vieillir, plus on voit le monde différemment : on a d’autres angoisses, on a d’autres espoirs. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment une pensée se transforme. »

Une nature à préserver

Aujourd’hui, ses préoccupations sont d’ordre écologiques, lui, le citadin qui a quitté Mulhouse dans les années 80 pour s’installer à la campagne à Soppe-le-Haut, au milieu des poules, des lapins et des oies. Parce que « la destruction systématique de la planète » l’insurge, il a commencé à peindre des portraits d’animaux menacés d’extinction à la manière des portraits bourgeois du XIXe siècle : « Dans ces portraits, on a l’impression que ces personnes veulent nous faire passer un message à travers leur regard. Je voulais donner cette même impression avec ces animaux qui ont une réminiscence préhistorique, comme l’éléphant ou le rhinocéros », souligne l’artiste. Il se fait encore plus engagé, à travers sa série sur les écocides, peignant un canard prisonnier dans une pelleteuse ou une biche évacuée par un hélicoptère… L’animal victime de la machine, et donc de l’homme : « Tant que l’homme détruit l’animal ou provoque sa souffrance, l’homme ne peut pas être sauvé, parce qu’il traitera ses semblables de la même façon ». Dans ses dernières toiles, le peintre adoucit son propos : « J’aimerais être un peu plus poétique, taper moins dur. Je ne veux pas être simplement militant, cela me plaît mieux d’être un artiste ». Il y a certes toujours des bulldozers pour détruire la nature, mais dans des paysages inspirés du peintre américain du XIXe siècle, Frederic Edwin Church : « Quand je regarde ces toiles, j’arrive à respirer. Or quand je me balade, je n’arrive plus à respirer, tout est tellement étouffant, surtout en Alsace où tout est morcelé. Tout ce qui défigure le paysage me met en colère. Je n’ai pas de solutions mais je suis persuadé que l’homme doit penser autrement. »

Le peintre réalise aussi des installations qu’il appelle des « Musées de la nature », des petites boîtes tapissées de miroirs à l’extérieur pour refléter l’environnement, avec une petite ouverture par laquelle on découvre un champs de coquelicot à l’infini : « C’est comme la mémoire de la nature qui a disparu. C’est une vision pessimiste, mais je l’ai toujours dit, je suis un combattant pessimiste ». Le premier a été installé devant la mairie d’Illzach, et un autre suivra au Nouveau bassin à Mulhouse en 2018. L’artiste aimerait en réaliser une trentaine au total, installés tout le long de la faille sismique entre Bâle et Lyon : « C’est un peu utopique, mais il n’est pas interdit de rêver », glisse-t-il. Comme on le disait en mai 68, il est interdit d’interdire.

En boucle sur votre iPod ?
J’écoute en boucle France Musique quand je peins, alors je dirais La Flûte enchantée.
Votre livre de chevet ?
Salammbô de Flaubert, un péplum tellement délirant avec ce mélange de barbarie et d’héroïsme.
Une personnalité que vous admirez ?
William Hogarth, un peintre anglais du XVIIe, parce qu’il avait un regard acide sur son époque et a été l’un des rares à avoir fait des portraits de ses domestiques.
Un endroit où vous vous sentez bien ?
En Grèce, pour son héritage culturel, pour l’aridité de ses paysages et la mentalité des habitants.
Votre café ou resto préféré dans le coin ?
Je vais tous les jours à la Piadina à Mulhouse.
Ce qui vous émerveille dans la vie ?
Le quotidien : voir le soleil le matin, voir un tableau dans un musée, aller à un concert...
Votre dernière grosse colère ?
La politique actuelle, vraiment désespérante.

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