Mulhouse il y a 150 ans : théâtre et société

Le Théâtre de la Sinne, 150 ans d'histoire(s)

À l’occasion des 150 ans du Théâtre de la Sinne à Mulhouse, la Maison du patrimoine et le Musée historique présentent deux expositions jumelées, l’une sur l’architecture du lieu, la seconde sur le contexte de l’époque.

Ce n'est pas une, mais deux expositions, qui sont consacrées au Théâtre de la Sinne, inauguré en 1868, il y a 150 ans. La première, à la Maison du patrimoine refait l'histoire du bâtiment et porte un regard architectural sur ce théâtre à l’italienne : « On aborde la construction du théâtre et les différentes transformations à partir de 1904 et surtout 1913 qui donneront sa physionomie au théâtre actuel. On va jusqu’à la construction du centre chorégraphique en 1976, siège du ballet de l’Opéra national du Rhin », déclare Caroline Delaine, conservatrice du patrimoine à la Ville. L’exposition brosse aussi la vie du théâtre et de ses heures de gloire, comme par exemple lorsqu’elle abritait une troupe lyrique permanente de 1922 à 1934, puis de 1946 à 1968.

Le Musée historique replace lui le théâtre dans son époque, celle de la fin du Second Empire. Mulhouse, où la révolution industrielle a été plus précoce qu’ailleurs, connaît un boom démographique. On passe de 8 000 habitants en 1798 au moment où elle devient indépendante à 70 000 habitants lors de son annexion à l’Allemagne en 1870. Son pic démographique se situe précisément entre 1850 et 1870 : « C’est une ville-champignon, en chantier permanent : il y a besoin de logements, d’écoles, de lieux de cultes, de trottoirs aménagés et d’éclairage… Mulhouse passe un seuil : elle devient une grande ville », informe Joël Delaine, conservateur au Musée historique.

Mulhouse inculte ? Le scandale...

Si la révolution industrielle à Mulhouse a été plus précoce ailleurs qu’en France, la création des établissements culturels est lui plus tardif. Première raison à cela : Mulhouse était dédiée à l’industrie, quasiment qu’à l’industrie, et les patrons n’avaient d’autres prétentions que de faire tourner leurs usines. Deuxième raison, religieuse cette fois : à Mulhouse, qui a été calviniste jusqu’à son indépendance, la plupart des patrons sont protestants. Or dans la culture protestante, le théâtre est interdit.

Mais un certain Emile Souvestre, enseignant, va jeter un pavé dans la mare en publiant un article en 1836 dans une revue parisienne : « Il est à la fois admiratif du goût pour l’entreprenariat des Mulhousiens mais dresse un portrait de chefs d’entreprises incultes qui ne savent que compter, et qui, disons-le, les fait passer pour des ploucs. Cet article a eu un retentissement énorme, les Mulhousiens se sont sentis insultés », commente Joël Delaine.

L'ostentation gagne les protestants

Il faudra attendre quand même une génération pour que les mentalités changent et que les projets de musées, de bibliothèques, de théâtre sortent des cartons… « On peut aussi se demander si ce n’est pas le début de la fin pour la morale protestante et la morale individuelle. On inaugure en 1864 le Temple Saint-Etienne, le plus haut temple d’Europe parce qu’il fallait le faire plus haut que l’église Saint-Etienne catholique. La villa Ermitage, construit en 1868 pour la famille Koechlin Schwartz, fait figure de château. L'habitat exprime une réussite sociale. On n’est plus dans la modestie, mais dans l’ostentation », constate le conservateur. C’est aussi le début de la vie mondaine, où l’on vient au théâtre pour se montrer plutôt que pour voir un spectacle.

À travers le théâtre, c’est ainsi toute une promenade à travers le Mulhouse de la fin du XIXe siècle et de ses personnalités marquantes (Jean Kœchlin-Dollfus, Jean Mieg, etc), qui est proposée.   ☛ S.B.