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Un papier découpé de Matisse passé à la loupe à la Fondation Beyeler

Les restaurateurs de la Fondation Beyeler ont mené une enquête scientifique digne d’une série policière. Nom de la victime : Acanthes. Auteur : Henri Matisse. Date de naissance : 1953. Dimensions : 310m sur 350m. Agressions : multiples. Misson : préserver cette œuvre phare de la collection. Retour sur une enquête passionnante.

Trois ans. Trois longues années auront été nécessaires pour analyser le chef d’œuvre Acanthes, un papier découpé réalisé par Henri Matisse en 1953, soit le plus grand projet de restauration de la Fondation Beyeler. Les restaurateurs ont mené une enquête scientifique digne d’une série policière. Dans le rôle des inspecteurs, Markus Gross, restaurateur en chef des peintures, et Stephan Lohrengel, restaurateur spécialisé dans les travaux sur papier, qui n’étaient pas trop de deux pour résoudre cette énigme complexe, et analyser cette structure composée de 13 couches différentes de papier, colle, gouache, toile, châssis… « Quand on regarde l’arrière de l’œuvre, avec cette toile sur châssis, on se dit que c’est une peinture. Moi, en tant que spécialiste des papiers découpés, je ne suis pas familier de ce type de travail. Mais quand on regarde l’avant de l’œuvre, on se dit que que ce sont des papiers découpés, et Markus Gross, restaurateur, spécialiste des peintures, n’est pas familier avec cette technique non plus. Il fallait vraiment combiner nos deux disciplines », témoigne Stephan Lohrengel.

Markus Gross et Stephan Lohrengel, les deux restaurateurs de la Fondation Beyeler, ont analysé pendant 3 ans Acanthes d\'Henri Matisse © Succession H. Matisse - 2012 ProLitteris Zurich - photo Andri Pol Markus Gross et Stephan Lohrengel, les deux restaurateurs de la Fondation Beyeler, ont analysé pendant 3 ans Acanthes d'Henri Matisse

Des questions sans réponses

Comme toute enquête, cela démarre avec des questions sans réponses : « Ernst Beyeler a acheté cette œuvre sept ans après sa création et elle n’a jamais été vendue par la suite. Elle n’a pas été livrée avec une notice d’utilisation, donc on se posait pas mal de questions. Pourquoi les formes en rouge ont une couche de gouache plus mince que sur les autres papiers ? Pourquoi certaines couleurs se sont estompées ? D’où venaient les dommages constatés sur les bords de l’œuvre et sur certaines parties du papier ? Pour la Fondation Beyeler, c’était important de mener ces recherches pour avoir la meilleure conservation possible et de donner la possibilité aux visiteurs d’admirer cette œuvre dans le futur », poursuit le spécialiste des papiers découpés.

60 oeuvres de Matisse analysés

Pour trouver leurs réponses, les deux restaurateurs ont interrogé conservateurs, historiens, scientifiques, techniciens du monde entier et ont examiné au total 60 autres papiers découpés de Matisse pour établir les faits. Ils ont observé Acanthes à la loupe, ou plutôt au microscope, avec une lumière incidente, rasante, transmise et soumise aux rayons ultraviolets, dans un atelier spécialement créé pour l’occasion, permettant d’étendre cette toile de 11m2.

Ils ont « fiché » Acanthes et les trois autres papiers découpés de la collection Beyeler dans un programme informatique, permettant de mieux comparer les détails techniques telles que les déchirures, les colorations, les traces de consolidation.

L’œuvre a peu à peu dévoilé quelques surprises sur les méthodes de travail du maître : « On a découvert par exemple que les trous venaient de l’atelier de Matisse, qu’il n’était pas nécessaire de les retoucher, parce que Matisse lui-même ne les considérait pas comme un dommage important. Ce qui lui importait, c’était l’ensemble de la composition. Et si on regarde de loin, si on a cette vision d’ensemble, on ne remarque pas du tout ces accrocs », indique Stephan Lohrengel.

La fragilité des couleurs

Si la victime ne se portait pas si mal que ça et que l’on jugeait même qu’elle était en bonne état, la fragilité des papiers découpés nécessitait de prendre quelques précautions comme l’explique le restaurateur : « Matisse lui-même savait que cette œuvre était fragile et qu’il fallait y faire très attention, à cause des matériaux utilisés : le papier, la gouache. Il a mis beaucoup d’énergie pour obtenir la bonne composition entre le rouge, le jaune, le orange et le bleu. Si l'une de ces couleurs s’estompent, ça change totalement la perception de l’œuvre. Le problème principal concerne le brunissement du papier de fond et le jaunissement des papiers découpés bleus quand ils sont exposés à une trop forte lumière. Conscient de ce problème, nous avons choisi une vitre et un filtre en conséquence pour l’encadrement, et préconisé une intensité de lumière moins vive pour l’exposition, pour que l’œuvre puisse être admirée 365 jours sur 365. 

Finalement, la restauration a été mineure : il a fallu consolider les bords de l’œuvre qui ont été abîmés lors de prêt à d’autres musées, où l’œuvre était retirée de son châssis puis retendue à chaque fois. Il a fallu également réduire de malheureuses traces de colles colorées sur le papier, liées à une précédente restauration.

Matisse au sommet de son art

Les conclusions de l’enquête aideront d’autres musées à préserver les papiers découpés de Matisse, des œuvres uniques et exceptionnelles qui confirment le génie du maître. « Le travail de Matisse paraît simple : des papiers collés sur une toile. Mais pour moi, qui ai regardé ce travail encore et encore pendant trois ans, je peux vous dire que je ne me suis jamais ennuyé, confie Stephan Lohrengel. Matisse avait 60 ans de carrière derrière lui quand il a réalisé ses papiers découpés, et il était alors au somment de son art. Les gens n’ont pas compris pourquoi il ne peignait plus, pourquoi il faisait des papiers découpés. Ce n’est plus de l’art, disaient-ils. Mais pour Matisse, il n’y avait pas de différence à faire entre ses peintures et ses papiers découpé. Il a trouvé une méthode pour combiner peinture, dessin, sculpture, composition en une seule œuvre. Il a trouvé l’essence de sa vie artistique ! Ce n’est pas le travail d’un artiste qui ne pouvait pas faire autre chose, mais d’un chercheur, d’un inventeur, qui l’a été jusqu’à la fin de sa vie. »


Pour Acanthes, l’interrogatoire est terminé. L’œuvre retrouvera la lumière des projecteurs à l’automne 2013 où il sera exposé dans les collections permanentes de la Fondation Beyeler.

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