Barbara Carlotti
Chéris ton futur !
Certaines chansons étaient faites pour exister. Mieux encore, pour nous sauver - si ce n'est la vie, au moins notre foi en elle. C'est le cas de chaque chanson de Chéris ton futur !, qui, alors que les Sex Pistols proclamaient qu'il n'y en avait pas, puisent dans un terreau rock'n'pop afin de nous prouver le contraire.
Que faire pour chérir son futur ?, s'interroge Barbara Carlotti. Il faut trouver une perspective, remettre en question les pénibles acquis patriarcaux, réinventer l'amour, construire un contexte révolutionnaire. Après Magnétique (2018), une échappée du réel par les rêves, le disque familial, presque affectif, Corse île d'amour (2020), Chéris ton futur nous confronte au réel, tel un antidote à un présent trop violent. Pendant les confinements, la chanteuse a pris conscience, comme beaucoup, de la fragilité de son métier : ce qui m'a déstabilisée à plein d'endroits, y compris insoupçonnés.
Alors Barbara décide de laisser libre cours à l'exaltation des sentiments, pour un album qu'elle veut galvanisant, tel un souffle d'espoir. Elle se roule dans la musique, car c'est de là d'où lui apparaît la lumière, et, après les mois de solitude covidé, s'entoure d'une équipe enthousiaste. Son amour pour la pop française, elle le cultive ici avec un nouveau partner in crime, Maxime Daoud (Ojard), arrangeur et co-réalisateur de l'album. Il a le don de faire évoluer les harmonies, de chercher à sonner mieux, à traduire les couleurs musicales de Barbara. Ensemble, ils confectionnent ces dix chansons d'une élégance un peu folle, allergique à la morale, curieuse de tout et surtout de l'inconnu - en témoigne le morceau éponyme partagé avec l'ami Philippe Katerine. Les sections rythmiques sont enregistrées live au studio de Bastien Doremus, en peu de prises. Efficacité maximale, souligne Barbara. Maxime a fait appel à une équipe qu'il connaît bien : Louis Delorme (batterie), Adrian Eudeline (guitare), Corentin Kerdraon (piano), Adrien Soleiman (saxophones) et David Numwami (guitare, chant). Quant au mixage, il sera assuré par Bertrand Fresel, qui avait officié sur L'amour, l'argent, le vent - superbe ancêtre de Chéris ton futur.
Autre partenaire : Rome. Lors d'une résidence à la Villa Médicis en 2021, Barbara y a installé un home studio dans sa chambre. Elle a profité pleinement des fantômes d'une ville habituée au cinéma tout en revisitant ses propres démons et amours douloureuses à l'aune de cette époque. Avec les ordinateurs et les téléphones, nous avons une plus grande conscience du monde autour, explique-t-elle. Nous sommes des convalescents, du Covid mais aussi de ces affreuses nouvelles qui ne cessent de s'abattre sur nous de près comme de loin. L'humain est En convalescence, donc, annonce l'une des chansons de Chéris ton futur !, ne se prive pas de succomber à la beauté d'un instant (Le Syndrome de Stendhal), ni de se venger gentiment avec Désert dévorant, tandis que Parle nous confronte à nos propres ambiguïtés.
Il faut reconsidérer son passé pour faire mieux dans le futur et bien soigner son style, sourit Barbara, pour qui le fond et la forme ne font qu'un : L'amour n'est pas un espace galvaudé, il faut rendre son image plus puissante. De quoi offrir un caractère philosophique à ce disque, existentialiste même puisqu'on parle de vie, de mort, d'amour - toujours le point d'ancrage de Barbara.
Les chœurs, les guitares, tout est réuni pour favoriser un lyrisme assumé, ultra contemporain, multi-référentiel. Dans l'escarcelle de Barbara Carlotti : Blondie, LCD Soundsystem (mention spéciale à la boîte à rythmes de Dance Yrself Clean), Stooges (à fond les ballons sur Chéris ton futur), Marianne Faithfull, les Talking Heads, David Bowie (version rock organique seventies), le Velvet ainsi qu'Étienne Daho, Telex ou encore Hubert Lenoir côté francophone. At last but not least, Laurie Anderson, dont le traitement vocal a été une grande source d'inspiration, notamment sur Parle.
Le minimal se marie donc en grandes pompes avec le baroque. Le désespoir est balayé sans ménagement. Les mélodies sont plus addictives que jamais, et la pop remplit son plus beau rôle euphorisant. Face au vertige qui l'a saisie face à la beauté de Rome, rapporté dans Le Syndrome de Stendhal, Barbara Carlotti souhaite faire de ses émotions et ses sensations des talismans : car c'est aussi cela, le sel de l'existence. Et Chéris ton futur ! nous en apporte un peu plus encore. Sauve qui peut la vie !
Chéris ton futur !
Track by track
- La Chamade
Maxime lui a donné un côté Rita Mitsouko dans les arrangements. On imaginait le morceau chanté sur une plage par un groupe qui part en vrille avec ses solos de saxo un peu fous qui se mêlent aux rires. Ou comment transformer une histoire d'amour déçu en ce titre très enlevé, voire délirant, qui rit un peu de lui-même.
- Roma Amor
Avec ses arrangements ensoleillés, il rend hommage à la pop italienne des années 60. Ce morceau a été écrit au début de ma résidence à la Villa Médicis, avec cette ville sublime qu'est Rome sous mes yeux, la proximité de Cinecittà, les souvenirs des grands films qui y ont été tournés. Cette proximité avec tant de beauté m'a fait reconsidérer ma vision des sentiments.
- Chéris ton futur
Quelque part entre Gil Scott-Heron et les Stooges, un morceau âpre, presque menaçant mais aussi plein d'espoir. Cette chanson emblématique donne son nom à l'album : même si l'on sent qu'on est au bord d'un précipice, il ne faut pas oublier que certes la mort nous menace mais l'amour est partout.
- Parle
Il n'y a qu'un seul monde et il est faux, cruel, contradictoire, séduisant et dépourvu de sens, disait Nietzsche. Un monde ainsi constitué est le monde réel. Nous avons besoin de mensonges pour conquérir cette réalité, cette 'vérité'. On a toujours peur de se dévoiler complètement, mais il faut assumer ce qu'on est. Et nos contradictions par la même occasion ! En toute logique, j'avais en tête convoqué Fear is the Man's Best Friend de John Cale, et Maxime les arrangements du Velvet Underground et le O Superman de Laurie Anderson. C'est un morceau qui avance dans la perspective infinie des grands espaces.
- L'Inconnu
Une chanson romantique et politique. Dans ce chaos de l'époque, il faut accueillir l'inconnu, notamment les étrangers fuyant leur pays à cause d'une guerre ou d'une catastrophe écologique, jusqu'au sens large : ce que nous ne pouvions pas prévoir. Il s'agit aussi d'écologie, pour moi qui préfère les foules d'arbres, les forêts, aux foules humaines dont les réactions m'inquiètent toujours. Notre référence, c'était All Love is Fair, de Stevie Wonder qui s'est enrichi en enregistrement d'un solo de guitare façon George Benson sous acide ! Et dans le rôle de l'inconnu très connu, génial et tendre : Philippe Katerine avec qui on a imaginé des chœurs portés par l'espoir et la joie.
- Fantôme atomique
Quand j'ai écrit le texte, j'ai très directement pensé au roman Crash de J.G. Ballard et à son adaptation par David Cronenberg. Côté musical, c'est LCD Soundsystem qui rencontre les Jackson 5. Disco mais sans l'être. Les mouvements incontrôlés de la guitare d'Adrian Eudeline répondent aux mouvements incontrôlés de la voiture, comme des pensées qui dérapent.
- À la foule
Avec ses mouvements de cordes, cuivres, flûte et la guitare électrique de David Numwami, cette ballade en slow motion fait jaillir l'amour dans la musique et l'amour de la musique... Et je n'ai jamais chanté aussi haut ! Le texte est né juste après un concert d'Étienne Daho, où j'ai eu l'impression d'être seule au milieu de la foule, de faire corps avec elle dans ce moment d'extase, tout en étant en communication directe avec le chanteur. On s'imagine que les paroles de sa chanson nous sont adressées personnellement et l'on s'enflamme, littéralement. Une épiphanie.
- Cinéma
Sur ce morceau que j'ai composé avec David Numwami, qui m'accompagne au micro, il y a une porosité entre fiction et réel. J'avais lu l'histoire de la rencontre de Serge Gainsbourg et Jane Birkin sur le plateau du film Slogan. Un écho à la nôtre, en studio, absolument providentielle ! Je suis tombé en amour du jeu de guitare de David, de sa sensibilité musicale, de sa personnalité.
- Le B.A-BA de l'abécédaire
J'adore le groove de cette chanson, son sens du suspense et son efficacité. C'est l'adresse ironique d'une femme à un mec caché derrière son journal, trop préoccupé par les mots qu'il lit pour s'occuper de son corps. Elle lui récite l'alphabet pour passer un cap sensoriel. La sensualité lance une forme de défi tendre, érotique et incisif, en substance : Tu aimes mon C-ul alors si on B-aise on pourrait peut-être même tomber A-moureux. Le B.A-BA des relations amoureuses ! Côté sonore, Stillness in the Move de Dirty Projectors nous a inspiré.
- Désert Dévorant
La référence ici, c'est le titre d'un livre du poète Brion Gysin que je trouve très évocateur. J'aime les revenge songs, façon Toxic de Britney Spears, mais ici la revanche est heureuse : on se dit qu'on a tous les deux souffert, mais que c'est aussi ça, l'amour. Breakbeat, percussions. Le processus a été long et enthousiasmant sur les rythmiques. Je me suis également autorisé un clin d'œil à John Coltrane dans le texte : moi qui pensais t'aimer d'un amour suprême A Love Supreme.
- En convalescence
Maxime a beaucoup réfléchi aux arrangements à partir d'une mélodie que j'avais envisagée comme une litanie, un mantra personnel que je me suis répété en boucle pour aller mieux. Tout a commencé à Biarritz, où je suis partie me reposer après une période éprouvante, de maladie et de désamour, où l'apathie disputait au désespoir. À la tombée du jour, je traquais le rayon vert - la difficile rédemption du film d'Éric Rohmer m'a beaucoup inspirée. Dotée d'harmonies tendres, cette chanson m'a aidée à recouvrer mes forces.
- Le Syndrome de Stendhal
Un premier janvier, je suis montée en haut de la tour de la Villa Médicis. Prête à m'évanouir devant la beauté de Rome, j'en ai pleuré de joie. Ce vertige s'est mêlé à une confusion des sentiments. En résulte une grande ballade pop 70s avec une guitare funk sur des refrains à la Nile Rodgers, un cyclone d'émotions qui s'intensifie avec des guitares aussi saturées que sauvages.
Date de dernière mise à jour le 25/09/2025.