A feuilleter les programmes des salles culturelles de la région, les spectateurs avertis auront sans doute remarqué la montée en puissance des ciné-concerts. Dans le Haut-Rhin, c'est la Filature qui a donné le « la », dès l'arrivée de Joël Gunzburger en 2006 : « Il lui a paru évident avec l'orchestre symphonique de Mulhouse sur place de proposer ce type de collaboration, explique Karine Louis, directrice de la communication de la Scène nationale. La filature est attachée aux ciné-concerts car ils permettent de réinventer l'histoire d'un film, de lui donner une seconde vie. Ce sont des images qui datent confrontées à de la musique actuelle, ce qui donne des soirées dans l'air du temps. »
© Roy export sas
Les ciné-concerts permettent de donner une seconde vie aux grands classiques, comme ici le Kid de Charlie Chaplin joué à la Filature cette année
Aux Dominicains de Guebwiller, à la pointe en matière d'expérimentation visuelle et sonore, on se réjouit du retour en force du ciné-concert : « Pour nous qui défendons l'image à travers la vidéo et la musique, avec la création récente d'un centre audiovisuel, le ciné-concert est le genre idéal. Cela permet de remettre au goût du jour des grands classiques. Les gens adorent ça et les places partent vite ! », annonce Elisa Beardmore, directrice de la communication.
Résultat : même les services culturels des villes s'y mettent. A Saint-Louis, le café littéraire va proposer pour la première fois des ciné-pianos, un complément à son ciné-club : « Cela nous permet de faire découvrir tout un pan du cinéma qu'est le cinéma muet, qui est devenu la portion congrue à la télévision. En général, il est dans une veine comique, c'est pourquoi nous avons choisi des œuvres de Charlie Chaplin et Buster Keaton pour représenter le genre. Il y aura un accompagnement au piano avec deux grands improvisateurs - Delphine Guitard et Eric Lot – qui ne feront pas un simple commentaire musical », explique Stéphane Valdenaire, attaché culturel à la Saint-Louis.
Et c'est bien parce que les grands classiques sont vus sous un autre jour que le public adhère si massivement au ciné-concert, comme l'explique Karine Louis, à la Filature : « C'est une forme qui fédère, aussi bien les habitués de l'OSM que ceux de la Filature, aussi bien les ados que les retraité, parce qu'elle met tout nos sens en éveil. Je crois que cela tient aussi à la façon dont le projet est pensé, respectueux du film de départ, mais sans vouloir faire de l'illustration. Il s'agit vraiment d'une nouvelle lecture. Et puis les spectateurs ont le sentiment, un sentiment encore plus fort s'ils connaissent le film, de vivre une aventure ! ».
Si le genre plaît au public, il plaît surtout aux artistes. Déjà à l'époque du muet, les plus grands compositeurs (Sergueï Prokofiev, Jerome Kern, Robert Stolz...) écrivaient des partitions pour les films. Aujourd'hui, un compositeur comme Michael Nyman, connu entre autres pour avoir écrit la bande originale de La Leçon de piano, se prête au jeu du ciné-concert sur le film Le cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein, qui sera présenté aux Dominicains.
Encore plus joueur peut-être, Christoph Ehrenfellner, jeune compositeur autrichien en résidence à l'OSM et à la Filature cette année, va mettre en musique le film Entr'acte de René Clair à la Filature. Son challenge ? Inventer une version en correspondance avec la musique originale d'Erik Satie qui sera également jouée ce soir-là : « Ce sera un même film avec deux partitions, pour confronter deux esthétiques différentes et interroger le rapport entre musiques et images. On se rend-compte de son importance dans les films d'horreur : si on coupe la musique, l'effet tombe complètement à plat », relève Anne-Claire Boyard, administratrice à l'OSM.
Mais le ciné-concert n'est pas la chasse-gardée des compositeurs classiques. D'autres artistes, venant du théâtre ou de la chanson, s'engouffrent dans la brèche, n'hésitant pas à bousculer les codes et à réinventer complètement le genre. Certains développent leur propre concept de ciné-concert comme la compagnie La Coordonnerie qui va présenter (super) Hamlet à la Filature, et qui conçoit à la fois les images et la musique. Et d'autres, encore plus retors, vont s'amuser à rendre muet l'un des premiers films parlants, en lui accolant une partition musicale : c'est le cas de Joachim Latarjet qui présente King Kong à la Filature. Colt Silvers, groupe d'électro rock, a lui choisi de tailler dans le vif Blade Runner en coupant certains dialogues pour le rendre plus musical que jamais. (Voir notre interview du bassiste Nicolas Lietaert)
Si ce genre a de beaux jours devant lui, il reste relativement rare, car il est très compliqué à mettre en place. Et c'est ce qui en fait tout le sel, selon Karine Louis à la Filature : « Lors des répétions, les musiciens se calent sur un DVD pour des questions de droit. Quand on reçoit le film qui va être projeté la veille au soir, et que l'on découvre par exemple qu'il fait 6 secondes de plus, vous imaginez le stress : si le coup de feu est en décalage de 6 secondes par rapport à la musique... Je crois que cela met du piment. C'est tellement compliqué à mettre en scène que tout le monde y met son cœur, que tout le monde y va avec la boule au ventre ; c'est toujours sur le fil du rasoir, ce qui donne quelque chose d'hyper sensible et fin.»
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