Le Consentement

Ludivine Sagnier joue seule en scène Le Consentement, adaptation du livre-choc de Vanessa Springora sorti en 2020, qui dépeint les abus dont elle fut victime à son adolescence par un écrivain réputé... et prédateur. C'est à voir du 23 au 26 janvier à La Filature à Mulhouse. Interview.

JDS : Ludivine, comment trouve-t-on la bonne distance pour interpréter les mots d'une victime de pédophilie ?

Ludivine Sagnier : Le livre m'a marquée en tant que femme, il est sorti à un moment-clé, alors que l'opinion publique avait pris conscience de l'omniprésence de la violence sexuelle. Mais le livre ne se résume pas à un autre terrible fait divers, il a énormément de qualités littéraires, qui vont au-delà d'un témoignage. En tant que comédienne, je l'ai pris comme un défi à relever. J'ai finalement assez peu d'expérience au théâtre, c'est mon premier seule en scène... Néanmoins, un batteur m'accompagne en live : il vient accentuer les moments d'intériorisation du personnage, les palpitations de son cœur, ses montées d'angoisses.

Votre jeu est d'autant plus frappant que l'on sait que vous avez démarré votre carrière très jeune à la télévision et au cinéma, que vous avez parfois eu des rôles d'ingénue...

Je n'ai pas été victime de telles choses, mais n'importe qui, dans son entourage plus ou moins proche, connaît quelqu'un ayant subi des abus, ou pire encore. Ce spectacle, c'est ma façon de m'investir dans la libération de la parole, dans la prise de conscience collective. Le théâtre a cette force d'être un moment partagé collectivement, alors que le livre, c'est quelque chose de très individuel. Ici, le consentement n'est pas que celui de la victime, mais aussi de son entourage, de la mère qui laisse faire, d'une société qui a fermé les yeux...

Certains soirs, on vient me parler après une représentation, des gens de 17 à 80 ans, qui ont subi ces abus. ça les touche. Dernièrement, ce sont des personnes âgées, très bourgeoises, qui sont venues me voir. "Pardon", m'ont-elles dit. "Vous savez, à l'époque, on ne disait rien, on pensait que c'était normal"...

Avez-vous rencontré Vanessa Springora ?

Oui. Elle est venue voir la première répétition. à ce moment précis, sa présence fut un peu déstabilisante, je ne vais pas dire le contraire, mais depuis, elle est venue plusieurs fois voir le spectacle. Sa présence bienveillante me donne beaucoup de force, j'aime quand elle est là, je ressens comme une fusion avec elle.

Le film du même nom est sorti cet automne au cinéma, l'avez-vous vu ? Saviez-vous que Matzneff avait sorti récemment un livre-réponse au livre de Vanessa Springora, "Vanessavirus" ?

Même si j'interprète le personnage à différents stades de sa vie et que le film se concentre sur la période des faits, durant l'adolescence, je n'ai pas souhaité le voir, pour éviter d'être influencée dans mon interprétation. J'ai prévu de voir le film à la fin de la tournée du spectacle, mais pas avant. Quant au livre-réponse, je considère que cette personne n'est pas saine d'esprit, son avis ne m'intéresse pas.   Propos recueillis par Mike Obri

De quoi parle le spectacle ?

Ludivine Sagnier s’empare avec force et justesse du récit glaçant de Vanessa Springora. La comédienne s’accompagne de la musique organique de Dan Lévy pour une performance théâtrale d’une beauté redoutable. Avec le batteur Pierre Belleville à ses côtés, l’artiste porte Le Consentement pour faire bouger, par sa parole, les lignes et nous confronter, chacun·e, à nos lâchetés et à nos responsabilités, à notre rôle dans la société, à nos mentalités que nous ne savons faire évoluer que trop lentement et dans la douleur. Elle nous dit : « Ces prédateurs. Qui manient avec tant d’habileté cette notion volatile qu’est le consentement. Ce rempart si fragile, [...] cette promesse non tenue de la vie, cette frontière piétinée, à la guise d’un plus grand, d’un plus puissant. » Une œuvre théâtrale et musicale magistrale où se rejoignent beauté des mots et horreur des propos.

Théâtre / dès 15 ans / durée : 1h20
avertissement : ce spectacle aborde le sujet de la pédocriminalité