Installée dans l’ancienne Fonderie, la Kunsthalle Mulhouse a bâti en quinze ans un projet artistique singulier, entre production d’œuvres, ancrage transfrontalier et médiation ambitieuse. Pour comprendre ce qui fait la force de ce centre d’art d’intérêt national, nous avons rencontré sa directrice, Sandrine Wymann, qui en dévoile les coulisses et les défis.
Nichée au cœur du campus universitaire mais pourtant discrète derrière son imposante façade de béton, la Kunsthalle de Mulhouse intrigue avant même qu’on n’y entre. Et pour beaucoup, y compris les habitants du quartier, s’y aventurer n’a rien d’évident. « L’université impressionne, certains ne se sentent pas légitimes d’y entrer », reconnaît Sandrine Wymann. Cette barrière symbolique est l’un des premiers enjeux de la structure.
Depuis 2020, la Kunsthalle est labellisée Centre d’art contemporain d’intérêt national, reconnaissance attribuée aux structures engagées sur trois piliers essentiels : diffusion, production et médiation. Trois axes qui structurent l’ensemble de sa programmation, qu’il s’agisse d’expositions monographiques ambitieuses, de projets collectifs ou de la Régionale, vaste manifestation transfrontalière réunissant chaque hiver plus de vingt institutions en Alsace, à Bâle et à Fribourg.
Sandrine Wymann résume ainsi l’ADN du lieu : « Notre régional est international ». Un parti pris logique à Mulhouse, ville située au cœur du Haut-Rhin, où les scènes françaises, suisses et allemandes dialoguent en permanence. « Je ne pense pas seulement Alsace : je pense aussi Bâle et Fribourg. C’est notre bassin naturel », précise-t-elle. Cet ancrage irrigue l’ensemble du projet : expositions, partenariats, résidences et production d’œuvres.
La Fonderie Mulhouse : une architecture industrielle au service de l’art contemporain
Installée dans le bâtiment historique de La Fonderie, ancienne usine textile réhabilitée dans les années 2000, la Kunsthalle occupe une vaste nef traversée de piliers, de poutres et de voûtes en béton. Ici, le matériau brut n’est pas un simple décor, mais un véritable partenaire de jeu. « Le béton ici, c’est presque de la dentelle. Il a une présence incroyable qui séduit beaucoup d’artistes », souligne Sandrine Wymann.
La lumière naturelle, omniprésente, ouvre des perspectives inédites. À travers les verrières, la ville reste en toile de fond, comme si les expositions dialoguaient en permanence avec l’extérieur — un atout rare dans un centre d’art contemporain.
Mais cette beauté architecturale possède son revers : la façade, très fermée, reflète davantage la rue qu’elle ne laisse deviner ce qui se passe à l’intérieur. « On ne voit rien, on ne devine rien : cela n’invite pas spontanément à entrer », admet sa directrice. Un “défaut de naissance” qui oblige l’équipe à renforcer constamment la médiation : actions hors les murs, événements sur le parvis, signalétique repensée, partenariats avec les acteurs du quartier. « Pour certains habitants, entrer dans une université est intimidant. Alors c’est à nous d’aller vers eux », ajoute-t-elle.
Résidences d’artistes : un laboratoire de création au cœur de Mulhouse
Depuis son ouverture en 2009, la Kunsthalle a fait de la production artistique l’un de ses axes majeurs. Résidences, ateliers temporaires, créations in situ : le lieu se pense avant tout comme un laboratoire.
Les artistes disposent d’un appartement en ville et d’un atelier permanent à Motoco, tiers-lieu culturel voisin. Ils y séjournent plusieurs semaines ou plusieurs mois, parfois plusieurs années. « Accueillir les artistes, c’est notre premier geste. Nous voulons qu’ils puissent produire ici, avec nous, dans un vrai dialogue avec le territoire », explique la directrice.
La crise sanitaire de 2020 a accéléré cette orientation. Là où le centre accueillait autrefois des œuvres venues du monde entier, il privilégie désormais la production locale. « Tout à coup, transporter des œuvres à travers le monde n’allait plus de soi. Nous avons réinterrogé nos pratiques, et cela nous a conduits à recentrer l’international sur la mobilité des artistes plutôt que des objets », analyse-t-elle. Une manière plus éthique, plus durable et, paradoxalement, encore plus internationale de faire vivre la création contemporaine.
Un réseau culturel dynamique : collaborations et partenariats à Mulhouse
À Mulhouse, le travail en réseau est une seconde nature. La Kunsthalle collabore régulièrement avec Motoco, la Filature, le Ballet de l'Opéra National du Rhin, le FRAC Champagne-Ardenne, les écoles, les musées, les commissaires indépendants ou encore d’autres centres d’art français et étrangers.
« Nous ne sommes pas en concurrence. Ici, on se renforce les uns les autres », souligne Sandrine Wymann. Cette circulation des idées, des personnes et des moyens crée une dynamique unique dans une ville où la vie culturelle se distingue par sa densité et son foisonnement. C’est aussi ce qui permet de concevoir des projets plus ambitieux, grâce à la mutualisation des moyens humains, matériels et financiers. « Selon les projets, nous pouvons partager une résidence, co-produire une exposition, accueillir une compagnie en répétition… C’est une manière de travailler qui fait la force du territoire. »
Médiation culturelle : rapprocher l’art contemporain des habitants
Le label national s’accompagne d’une responsabilité forte : celle de toucher des publics variés, parfois éloignés de l’art contemporain. À la Kunsthalle, cela se traduit par :
- des visites scolaires quasi quotidiennes
- une médiation pensée pour les familles
- un dispositif dédié aux enfants de moins de 3 ans
- des formats conviviaux (visites-apéros, samedis familles, ateliers)
- des projets participatifs associant artistes et habitants
Cette dimension est cruciale dans un quartier populaire où la culture institutionnelle peut intimider. « Les publics proches ne viennent pas spontanément. On doit aller là où ils sont : sur le parvis, dans la rue, dans les lieux de vie. C’est notre responsabilité », insiste la directrice.
Certaines expositions deviennent ainsi des espaces d’écoute, de dialogue ou même de création collective. « Les artistes peuvent imaginer des pièces en lien direct avec les habitants. Ils deviennent acteurs, pas seulement spectateurs », souligne Sandrine Wymann.
Culture et financement : comment la Kunsthalle s’adapte aux contraintes actuelles
Les restrictions budgétaires touchent aujourd’hui le secteur culturel de plein fouet, dans un contexte national marqué par la baisse des dotations publiques, la hausse des coûts de production et une pression accrue sur les structures, sommées de maintenir une programmation ambitieuse avec des moyens souvent en recul. La Kunsthalle, structure de taille modeste, n’a pas subi les plus fortes coupes, mais doit néanmoins composer avec une équipe resserrée et des attentes croissantes.
« On nous demande de faire toujours plus, souvent avec moins. C’est une réalité », confie la directrice du centre d'art. La réponse passe par l’inventivité : coproductions, partenariats, invitations de commissaires extérieurs, projets partagés avec d’autres structures.
« On nous voit comme de bons élèves. Mais si on est inventifs, c’est surtout parce qu’on n’a pas le choix », sourit-elle. Une créativité contrainte, mais qui n’empêche pas la Kunsthalle de déployer un projet solide, cohérent et ancré dans son territoire.





















