Au cœur du vaste site DMC de Mulhouse, Motoco s’est imposé comme l’un des principaux pôles artistiques d’Europe, accueillant près de 140 créateurs dans plus de 8 500 m² d’ateliers. Peintres, céramistes, designers, vidéastes, architectes ou plasticiens côtoient la radio associative MNE dans un bâtiment industriel devenu terrain d’expérimentation. Immersion au cœur de ce lieu bouillonnant où l’art se fabrique à ciel ouvert.
© Mathilde Bourgain
L'entrée de Motoco au niveau du bâtiment 75 de l’ancienne DMC.
Avec sa silhouette de forteresse textile, le bâtiment 75 de l’ancienne DMC attire l’œil avant même qu’on pousse la porte. Une fois à l’intérieur, la friche change de visage : la lumière se glisse entre les vitres industrielles, les bruits d’atelier se mêlent à des voix de radio, et l’on perçoit immédiatement l’activité continue qui anime les lieux. Guidés par Martine Zussy, directrice de Motoco, puis par Achille Zussy, en charge du développement des nouveaux publics, nous découvrons un espace où chaque recoin raconte une histoire… et une œuvre en devenir.
Un héritage industriel devenu terre d’art
Longtemps, le bâtiment 75 fut l’une des multiples antennes productives de la DMC. Un colosse de brique, solide, rigoureux, façonné pour abriter des centaines d’ouvriers. Lorsque les machines se sont tues, le lieu a connu la période d’incertitude propre aux friches.
« Motoco est né presque par hasard », souffle Martine Zussy. En 2013, quelques artistes investissent l’endroit, séduits par l’espace et la lumière. Un début précaire mais prometteur. La première structure associative s’essouffle en 2016, laissant planer le doute sur l’avenir du lieu.
La Ville encourage alors une refondation. En 2018, une SAS coopérative est créée, soutenue par plusieurs entrepreneurs. « Il fallait un modèle solide mais qui respecte l’esprit des débuts : des ateliers accessibles et beaucoup de liberté », détaille la directrice. Motoco peut alors poursuivre son développement, sans perdre son identité.
Le modèle Motoco : une économie au service de la création
La force du lieu réside dans son équilibre. D’un côté, des ateliers loués à prix modéré — environ 60 % du coût réel — pour permettre aux artistes de disposer de surfaces de travail généreuses. De l’autre, une activité événementielle dense au rez-de-chaussée : conférences, salons, mariages, marchés, lancements de produits.
« Ce sont les grandes salles qui rendent le reste possible », résume Achille Zussy. Elles accueillent jusqu’à 1 200 personnes et contribuent à financer la vie quotidienne du bâtiment.
L’équipe, volontairement réduite, concentre ses efforts sur l’essentiel : accompagner les artistes, gérer les ateliers, préserver l’esprit du lieu. « Aider un artiste, c’est d’abord lui offrir des mètres carrés et du temps », rappelle Martine Zussy.
Un village d’artistes aux horizons multiples
Motoco rassemble en permanence entre 120 et 140 créateurs, venus d’une quinzaine de pays. « Cette diversité, c’est une grande richesse », insiste Martine Zussy. Elle se reflète dans les langages plastiques : peinture, céramique, illustration, photographie, vidéo, sculpture, design textile ou numérique.
Les artistes ne sont pas sélectionnés au hasard : chaque atelier disponible attire une cinquantaine de candidatures. Les baux, conclus pour trois ans, ne sont renouvelés que si le projet reste vivant.
« On fonctionne comme un village », explique la directrice. Pas de programme imposé, pas de cadre rigide : chacun travaille à son rythme, derrière sa porte ou dans les espaces partagés, avec la possibilité de collaborations informelles.
Rez-de-chaussée : les grandes salles et Radio MNE
Le rez-de-chaussée est impressionnant par sa hauteur sous plafond et ses volumes. Deux grandes salles modulables se prêtent à des configurations très variées : salons dédiés au vin nature, marchés de créateurs, brunchs, séminaires, événements culturels.
© Motoco
Divers événements se déroulent dans les deux grandes salles modulables de Motoco.
À l’entrée, derrière une large baie vitrée, un studio attire l’œil : celui de Radio MNE. La radio associative, véritable institution mulhousienne, a installé son centre névralgique au cœur de Motoco.
« Ils font vraiment partie du bâtiment », glisse Achille. Les voix enregistrées, les interviews en direct et les portraits d’artistes donnent une tonalité particulière à l’endroit. MNE accompagne la vie du lieu, la raconte, la diffuse. Pendant les Ateliers Ouverts, l’équipe installe les micros dans les étages, offrant une visibilité précieuse aux résidents.
© Sylvain Freyburger
Le studio de la radio locale MNE, au rez-de-chaussée de Motoco.
Premier étage : ateliers feutrés et concentration
À l’étage, l’ambiance change nettement. Un long couloir feutré dessert des ateliers où la création se déroule avec une précision presque silencieuse.
On y rencontre : Anne Teuf, autrice de BD, entourée de planches et de recherches graphiques ; Mathias Zieba, mêlant vidéo et céramique dans un espace où cohabitent caméras et four de potier ; Nicola Aramu, peintre d’origine vénitienne, qui fabrique lui-même ses pigments — « une couleur avec du miel de Motoco », dit-il en montrant un godet vert intense.
L’atmosphère est propice à la concentration. Les gestes sont précis, les discussions feutrées, les matières rangées ou mises en scène selon les pratiques.
Deuxième étage : un laboratoire de possibles
Le deuxième étage contraste fortement avec le premier. Ici, le lieu est plus brut, plus ouvert, plus changeant. Les artistes ont façonné l’espace : certaines cloisons proviennent d’anciennes toilettes, d’autres ont été montées pour créer de nouvelles zones de travail.
On y croise Guillaume Colombo, céramiste manipulant encore des pièces sorties du four ; Matthias Knoblauch Lore, l’unique architecte du bâtiment, entouré de maquettes et de prototypes ; le pôle sérigraphie Pri Toco, vibrant de couleurs et de cadres de tirage ; le duo Iva et Simon, qui passe indifféremment de la sculpture à la musique expérimentale ou à la 3D.
« Ici, ça vit », résume Achille. Une parole juste : outils, matières, œuvres et idées semblent circuler en continu.
L’ancrage mulhousien et le dialogue européen
Motoco profite d’une situation géographique privilégiée, à mi-chemin entre la France, l’Allemagne et la Suisse. Bâle, capitale internationale des arts visuels, attire chaque année des milliers de professionnels pour Art Basel. Certains visitent Motoco à cette occasion ; d’autres y trouvent un atelier qu’ils n’auraient jamais pu louer côté suisse.
Le lieu multiplie aussi les collaborations locales : projets scolaires, actions artistiques auprès de publics fragiles, partenariats avec les entreprises. « On veut que ce qui se passe ici rayonne dehors », souligne Martine Zussy.
Une plongée au cœur du processus artistique
Parcourir Motoco, ce n’est pas visiter un musée : c’est entrer dans un bâtiment en mouvement. Les œuvres ne sont pas exposées, elles sont en train de naître. Les ateliers montrent les étapes, les hésitations, les essais, les retouches.
La création est visible dans ses réussites comme dans ses tâtonnements. « Notre objectif, c’est que les artistes fassent un mètre de plus », résume la directrice. « Ce mètre-là est différent pour chacun, mais il est essentiel. »
La visite se termine à l’extérieur, là où la façade rouge brique surplombe encore le canal. En sortant, on a l’impression d’avoir traversé un espace rare : un lieu où la création n’est pas racontée, mais vécue.
Informations pratiques
Motoco se situe au 13 rue de Pfastatt, dans le bâtiment 75 de l’ancienne DMC à Mulhouse. Des visites guidées sont proposées sur réservation, via Motoco ou l’Office de Tourisme, et permettent de découvrir les ateliers en activité. Le lieu accueille également des événements privés ou professionnels grâce à ses grandes salles modulables. Facile d’accès depuis le centre-ville, le site dispose de places de stationnement à proximité. La programmation varie au fil de l’année, entre ateliers ouverts, expositions ponctuelles et marchés de créateurs.
En cette période de fin d'année, le Marché de Noël de Motoco devrait vous intéresser. Les amateurs d'estampe apprécieront également l'Exposition Mulhouse Gravure 2025.
















