Sur la route de la carpe frite

La route de la carpe frites, outre sa spécialité culinaire, nous emmène dans le Sundgau, un petit coin de paradis pour les amateurs de nature, avec ses prairies, ses bois, et ses étangs, ses châteaux en ruine et ses maisons à colombage.

Parlons peu, parlons bien. La route de la carpe frite étant une route gastronomique, passons directement à table à Carspach, au restaurant La Couronne, pour évoquer cette spécialité culinaire du Sundgau. Une recette de grand-mère qui se transmet de génération en génération : « Mes arrière grands-parents ont ouvert ce restaurant vers 1900, et il y avait déjà la carpe frite au menu, mais c’était essentiellement un repas pour les fêtes, pour les banquets, comme les kilbes (fêtes de village qui se terminent par un bal, ndlr), explique Dominique Hartmann, le chef cuisinier. A partir des années 50, les gens ont commencé à sortir au restaurant et mes parents ont commencé à servir la carpe-frite comme on la sert aujourd’hui. »

© Sandrine Bavard Ferrette, son château et ses légendes

La carpe frite est LA spécialité de ce restaurant qui se targue de servir le poisson toujours frais : le restaurateur est livré tous les jours par une exploitation piscicole située à Friesen, les carpes sont ensuite transvasées dans un vivier au sous-sol. Dominique Hartmann part ensuite à la « pêche » et remonte ses carpes pour les vider, les écailler, les trancher. Poivrées, salées, les carpes passent ensuite dans un bain de semoule, avant de plonger dans un premier bain de friture pour les blanchir, puis dans un deuxième quand les clients arrivent pour les finir. Mais n’allez pas comparer la carpe frite au fish & chips anglais : « J’en ai déjà goûté en Angleterre et je ne sais pas comment ils font, mais c’est gras de chez gras, et ce n’est vraiment pas bon. Notre carpe frite n’a rien à voir : elle se déguste », rétorque le restaurateur. Ici, les gens viennent à 90% pour cette spécialité et ce n’est pas prêt de changer : « Dans les années 80, ma mère a fait une tentative pour changer la carte un week-end de Pâques pensant faire plaisir aux clients. Elle a proposé des bouchées à la reine et du gigot d’agneau, et toutes les tables les unes après les autres, lui réclamaient la carpe frite. Ce fut une catastrophe », se souvient le cuisinier.

Des villages très nature

Le ventre bien plein, continuons la route jusqu’à Hirtzbach, traduisez le « ruisseau du cerf », petite commune qui aime tant les fleurs qu’elle est classée Hors concours Quatre Fleurs depuis 1981 et qu’elle organise la Fête de la nature le premier week-end d’août depuis 30 ans. On peut se promener le long des 12 petits ponts qui enjambent le ruisseau et arborent une végétation impressionnante, admirer les fenêtres et les balcons des maisons à colombage ornés de géraniums (autre spécialité alsacienne), les pétunias ou les fuchsias. Dans cette promenade bucolique, on ne manquera pas le jardin anglais en face du château de la famille Reinach. Et pour une balade plus sportive, on optera pour son domaine forestier de 700 ha.

Nous poursuivons ensuite notre itinéraire jusqu’à Feldbach où une halte s’impose à l’église Saint-Jacques, construite au XIIe siècle et typique de l’architecture romane, classée monument historique. Elle a été édifiée sous l’impulsion du comte Frédéric 1er de Ferrette qui souhaitait un lieu de sépulture pour lui-même et sa famille.

Un pays de légende

La route nous mène ensuite jusqu’à Liebsdorf. Le Sundgau est un pays de légendes, et voici celle de la carpe d’or qui est née dans ce petit village : le fils du comte de Ferrette se promenait dans les parages quand il tomba sous le charme d’une jeune bergère. Mais le père, opposé à de telles épousailles, lança un défi à la jeune fille : accomplir une action extraordinaire qui la rende digne de ce mariage. Elle lui proposa de goûter à ses poissons d’or (la carpe frite quoi). Le comte fut conquis et les amoureux se marièrent. Ils vécurent dans un château au Liebenstein, qui signifie « la pierre de l’amour », là où le fils du comte avait gravé un poème pour déclarer sa flamme.

Pour se remettre de ses émotions, on peut se rendre ensuite au plan d’eau de Courtavon. Sur la route de la carpe frite, on peut évidemment aller taquiner le poisson, sur l’Ill, la Largue, le canal du Rhône au Rhin et divers points d’eau. La fédération départementale de pêche propose une carte vacances qui permet de pratiquer à la journée ou à la semaine sur l’ensemble du domaine public du Haut-Rhin.

Des ruines romantiques

Nous reprenons le volant pour nous enfoncer davantage encore dans le Jura alsacien jusqu’aux ruines très romantiques du château de Morimont. Nous sommes en pleine nature, avec des chemins de halage, bordés d’herbes folles, entourés par des petites collines. Puis nous arrivons dans un petit bois, avec des arbres aux formes étranges, avec des rochers où les animaux jouent à cache-cache, qui nous conduit jusqu’à l’arche de ce château, dont l’existence est attestée depuis le XIIIe siècle. Là, on peut faire le tour du château pour admirer les remparts et les tours de garde, et visiter la cave voûtée de 57 mètres de long (visite intérieure sur rendez-vous). On humera surtout cette impression d’isolation totale, cette ambiance de bout du monde, ou du moins bout de France puisque la Suisse est juste à côté.

Autre ruine à visiter quelques kilomètres plus loin, celle du château de Ferrette, un des plus anciens d’Alsace, qui est lui situé au cœur de la ville, et qui nécessite de grimper sur les hauteurs. Mais vos efforts seront récompensés par une vue incomparable sur les environs, depuis une plate-forme en bois établie dans la tour d’habitation datant du XIIIe siècle. Vous pouvez pousser la curiosité jusqu’à la grottes des nains, lieu de légende, mais aussi site d’escalade, puisque les rochers forment une falaise de 25 mètres de haut.

Comme nous reprenons le volant, nous passons dans le village de Waldighoffen qui se distingue par de magnifiques maisons à colombage, puis nous traçons jusqu’à Hundsbach où se dresse un joli moulin. Au XIXe siècle, il y avait plus de 200 moulins en activité le long des cours d’eau du Sundgau : moulins à farine, foulons à chanvre, scieries, papeteries… Ce moulin-ci, qui a conservé trois paires de meules et la chambre de l’ouvrier à l’étage, a été pris en main par une association qui organise des visites sur rendez-vous faire revivre ce patrimoine. Il est alors temps de rentrer sur Altkirch, capitale du Sundgau.